Alerte morale et rappel à la loi contre des sextapes d'écoliers : Code moral du numérique

Tribune du Professeur Kodjo Ndukuma

C'est si intrigant, si infâme et infamant qu'il y a urgence à écrire contre le mal, sans le décrire, mais sans détour. Il se vit et sévit, en ce moment, un émoi national avec les comptes Instagram, tagués « vérité-Kinshasa » qui publient des images sexuelles d'écoliers congolais ou de jeunes adultes finalistes d'Exetat, hélas mis en pâture sur la plateforme mondiale Instagram.

En septembre 2021, le pays connut le scandale sexuel, mettant en scène à ciel ouvert des élèves de l'Ecole Saint-Georges de Kintambo, passés bourreaux et victimes de l'art du Kamasutra. C'était un signal d'alarme mais les oreilles semblent s'être accoutumées du son des cris désabusés, devant le regard souvent amusé de spectateurs adultes de la société.

Bien avant, en 2019, il y eut le viol sur mineurs de 13 ans et entre mineurs de 14 à 16 ans parmi des élèves de l'école Reverand Kim, viol diffusé dans leur plateforme numérique. Des enfants en conflits avec la loi, avait-on dit devant le TGI-Kalamu.

Ce sont pourtant des faits pénalement répréhensibles, moralement insoutenables et de politiques publiques envisageables.

1. Exemples d'expression cyber d'ailleurs et répressions exemplaires en cybercriminalité d'ici

Même s'ils restent insolites, les phénomènes de cyberharcèlement et de cyberexposition des mineurs et des jeunes adultes ne sont pas nouveaux. Il y eut un Marc Dutroux, dans les années 80, qui fut arrêté en 1996 pour pédophilie physique et filmée avant le boom de l'Internet. S'il y eut Internet, le drame serait encore plus marquant.

En France, dans la décennie 2010, les pouvoirs publics se sont battus contre les comptes Fisha. Sur ces types de comptes, des individus centralisaient des vidéos potaches, venant de plusieurs sources collégiennes ou lycéennes vers un point focal assumé, en vue de publier des « nudes » (nudités) des jeunes filles. Il y eut des drames personnels, familiaux et sociaux jusqu'au suicide.

Aux USA, dans la décennie 2010-2015, il fut inventé et évoqué :

  • le porn revenge (revanche pornographique, consistant à diffuser en ligne les images de sexualité au départ consentie ou prise en clandestinité soit pour se venger d'un ou d'une ex, soit pour simplement brimer la personne – en France, c'est la loi pour la République numérique en 2016 qui l'inséra dans le Code pénal ) ;
  • le happy slapping (atteinte à la personne visant à filmer le fait de dévêtir en public une personne, en vue de provoquer un outrage aux bonnes mœurs ou un attentat à la pudeur contre elle et d'en assurer la diffusion en ligne - article 222-33-3, code pénal français de 2014, mal repris à l'article 372 du Code du numérique de 2023).
  • la pornographie infantile en ligne ou la pédopornographie, qui émut l'Europe toute entière depuis la Belgique, dans les années 1980-1990, avec l'Affaire Marc Dutroux de pire chronique judiciaire. Depuis lors, la pédophilie ayant pris forme sur la toile a connu une brutale et immédiate répression farouche des autorités du monde entier et d'Interpol.

2. Droit comparé de la pédopornographie en ligne

a) En France, c'est dans la version en vigueur en 2022, que l'article 227-23 du Code pénal incrimine « le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Lorsque l'image ou la représentation concerne un mineur de quinze ans, ces faits sont punis même s'ils n'ont pas été commis en vue de la diffusion de cette image ou représentation ». Il en est de même de ceux qui habituellement consultent ou acquièrent de telles images.

b) En RD Congo, c'est la loi n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant qui intervient contre la pédocriminalité sous toutes ses formes y compris en ligne. Deux ou trois articles méritent d'être rappelés en l'espèce :

  • Article 180 : L'exposition de l'enfant à la pornographie sous toutes ses formes est punie de cinq à vingt ans de servitude pénale principale et d'une amende d'un million de francs congolais.
  • Article 169 : Les actes de pédophilie s'entendent de toute attirance sexuelle d'un adulte ou d'un adolescent envers un enfant, notamment l'attentat à la pudeur, la relation sexuelle, l'érotisme, la pornographie, l'abus sexuel et le viol.
  • Article 179 : Le fait de produire, de distribuer, de diffuser, d'importer, d'exporter, d'offrir, de rendre disponible, de vendre, de se procurer ou procurer à autrui, de posséder tout matériel pornographique mettant en scène un enfant est puni de cinq à quinze ans de servitude pénale principale et d'une amende de deux cent mille à un million de francs congolais. Le juge prononce en outre la confiscation du matériel pornographique concerné. On entend par pornographie mettant en scène les enfants toute représentation, par quelque moyen que ce soit d'un enfant s'adonnant à des activités sexuelles explicites, réelles ou simulées, ou toute représentation des organes sexuels d'un enfant, à des fins principalement sexuelles.

c) En appui, ce sont les articles 357 à 360 de l'ordonnance-loi 23/010 du 13 mars 2023 portant Code du numérique qui incriminent le fait de se procurer tout matériel de pédopornographie, le fait du harcèlement d'enfant par le biais d'une communication électronique, y compris le fait de détention des images y associées ou de les encourager ou d'en assurer le relai…pour des maximums des peines pouvant aller de 6 mois, 2 ans jusqu'à 15 ans d'emprisonnement.

3. Le diffuseur est coupable en droit, mais tous le sont moralement

Le scandale dit de l'Ecole Saint-Georges en 2021 était un signal d'alarme mais les oreilles semblent s'être accoutumées du son au regard amusé des yeux d'adultes.

La conscience sexuelle que les enfants de 12 ans ou 16 ans ont en tête ainsi que leurs intentions d'actes ne sont pas forcément les pensées des enfants ailleurs.

Si à 12 ans, le jeune congolais ne se satisfait plus avec les jeux sains de son âge : Nintendo, foot, Nzango, courses à pied, Kebo, corde à sauter, mais se livre corps et âme à des jeux de conjonction sexuelle, jusqu'à l'aptitude des répétitions scéniques et plastiques de pornographie…

Si notre jeunesse est livrée à elle-même (peut-être aussi à Dieu et à Satan), ballottée à tous les courants de la mode sans complexe qui prône l'écroulement des symboles et valeurs de moralité (peut-être à la gloire de l'antéchrist ou simplement de la déchéance du culte divin)...

Si les enfants de la « Cité » populeuse (les citsoh) ainsi que ceux de la « Haute société » (Bana Bonne vie) sont aussi pourris, car ils s'abreuvent en ligne plus de sexe à profusion et à portée de l'écran que d'autre chose favorable à l'esprit plutôt qu'à la volupté charnelle...

S'il existe même une publicité suggestive sur une boisson : « Petite sœur ya quartier » que tout le monde peut consommer et que les grands frères du quartier commencent eux-mêmes à rendre consommables les petites du quartier, que le jargon populaire voit le corps des filles comme le restaurant du quartier (en lingala « Malewa » fut un chant à succès), qu'il faut les abîmer comme des consommables …

Si leurs propres grandes sœurs (en lingala yayas filles) elles-mêmes sont passées plus tôt par l'abattoir des mœurs et veulent aussi qu'elles soient comme elles pour faire du pareil au même et qu'elles soient donc toutes pareilles …

Si des « shuggar dadies » sont connus des parents de filles sans gêne sociale mais avec motivation d'achat de voiture, de don d'Iphone 16 et de location d'appartement de standing…

Si les musiciens comme DJ Momboshi (ou Zeick « Ozo peser te solo ») sont interpellés et que la populace voit en lui la figuration du héros de la bravade, allant jusqu'à apostropher la dame policière qui avait instigué les poursuites, que des veillées de nuits sont organisées, en communion à la bêtise, par des chants à tue-tête regroupant toutes les générations et qu'on assista à un Te deum des ovations à la gloire de ce DJ, disciple des obscénités du verbe …

Que veut alors le peuple ? (Peut-être le pain et le cirque)

Que fait l'État face à la composante de l'ordre public qui consiste à la préservation de la moralité publique ?

4. Le diffuseur est coupable en droit, mais tous le sont moralement

Face au déclin moral général, au désastre sexuel sur Internet, essayons d'épingler quelques racines de l'arbre du mal, à savoir :

  • l'éclatement de la cellule familiale ;
  • Le manque d'autorité des parents ;
  • l'immoralité ambiante dans la musique et les danses lascives non publiquement censurées ;
  • l'effondrement des icônes morales parmi les « hommes de Dieu », qui s'avèrent faits de chair et de sang plus que d'esprit ;
  • le complexe des affranchis avec l'internet par tout et pour tous, entraînant un mimétisme trompeur ;
  • l'absence de dispositif de contrôle parental sur les appareils téléphoniques, qui en fait le véhicule de toutes les autoroutes de l'information sans stop, y compris sur celles de la perdition morale et spirituelle ;
  • la pauvreté et la promiscuité qui rendent le corps marchandise ;
  • le « Matalana » (Le fameux « m'as-tu-vu ») sur les réseaux sociaux et par succès des influenceurs, obligeant par la sueur du front des hommes et la sueur des femmes à obtenir ;
  • le phénomène Tipo-Tip consistant à disposer d'un répertoire téléphonique de vente de sexes tarifés moyennant commission du fait que le souteneur-messager garantit le silence du réseau et le plaisir caché des filles de son répertoire, auprès du consommateur discret et souvent bien placé dans la société ;
  • Le mélange du sacré et du profane sur Internet avec pour conséquence : la relative désacralisation de la foi, de l'évangile et des principes allégoriques en les rangeant dans le même chapitre que les commérages des réseaux sociaux ;
  • la banalisation des tabous et la perte des valeurs bantoues …

5. Une campagne de moralisation ou de prévention pour quoi faire ?

Pour ceux qui sont déjà en contact avec le mal à la racine et au bas-âge, que va-t-on leur apprendre ? À mieux commettre des insanités sans prendre soin de ne pas se faire filmer ? Ou carrément à ne pas le faire ?

Le droit ne régit pas les rapports métaphysiques ni les relations de cœur. Mais il y a nécessité de l'ordre public numérique.

L'État congolais, comme ailleurs où Internet a été inventé, pourrait lancer des actions de politique publique comme :

  • les formations ou campagnes de sensibilisation aux dangers de l'Internet aussi bien en milieu scolaire qu'en milieu extra-scolaire, comme le fait la (Service public de la donnée et de la vie privée) en France avec le cours de « civisme numérique » en CE2 équivalant à la 3e primaire en RD Congo ;
  • l'instauration des permis d'accès à Internet pour les jeunes de 13 ans après formation à l'école ;
  • l'imposition des mécanismes de contrôle parental aux réseaux de télécommunications et fournisseurs d'accès à internet ;
  • l'élimination des canaux offrant la pornographie dans l'offre des bouquets satellites de chaînes de TV prépayées ;

6. Hélas ! le mal est congénital …

Internet est sans frontière et les plateformes numériques ont chacune leurs "Règles de communauté" auxquelles les internautes adhèrent sans le savoir ou y consentent sans jugement cognitif. Certaines règles de communauté sont très permissives au nom de la neutralité du Net et des principes libertaires de contre-culture du New-Age.

En l'occurrence, Instagram est parmi les plus permissives en matière de diffusion de contenu sexuel, de même que maintenant et depuis peu l'ex-Twitter ou X, contrairement à Facebook ou TikTok (hors live) par exemple.

Par exemple, YouTube et Facebook interdisent en principe aux enfants de moins de 13 ans l'ouverture des comptes sur leurs plateformes. Hélas, ces mômes contournent cette contrainte par le mensonge sur leur âge réel.

Nous sommes face à la génération des "digital natives", celle née avec un clavier, une souris et maintenant des écrans tactiles dans la main. Leurs appétences diffèrent de celles nées avant l'ordinateur ( BBC, Born Before Computer) , leurs valeurs sociétales, leurs repères moraux et références éthiques, leurs libertés numériques, entendues comme un droit fondamental à prendre des risques sur Internet.

Paris, le 29/08/2025

Dr. Kodjo Ndukuma
Professeur des universités