Les startups « numériques » face à l'imbroglio du cadre légal
Abstract
Le cadre légal applicable aux startups numériques en République Démocratique du Congo souffre de vives contradictions et d'un manque de clarté. Alors que l'ordonnance-loi n°22/030 permet à toutes les formes de startups de bénéficier d'avantages fiscaux et réglementaires, le Code du numérique (ordonnance-loi n°23/010) limite ces privilèges aux seules startups numériques ayant le statut d'« entreprenant », c'est-à-dire l'entrepreneur individuel au sens du droit OHADA, excluant ainsi les sociétés et de nombreux acteurs innovants du secteur. Cette restriction arbitraire et l'absence de définition précise de la « startup numérique » entraînent une confusion entre différents statuts – entreprenant, prestataire de services numériques, PME – et créent une superposition de régimes incompatibles. Au lieu de favoriser l'émergence d'un écosystème dynamique, cette situation juridique confuse freine le développement des startups numériques en RDC et les prive d'un accès équitable aux dispositifs de soutien prévus par la loi.
Le Droit des Startups fait l'objet des travaux conduits depuis cinq ans par le Professeur Kodjo Ndukuma, avec la collaboration des juristes d'entreprise, de banque et d'association : Vanessa Bosao (UPC, 2020), Raissa Bobola (UPC, 2021) et Benie Mulebo (UCC, 2023). Un ouvrage est actuellement sous Presse à Paris. La présente tribune en est tirée avant sa sortie prévue pour la rentrée 2025-2026.
Un cadre légal contradictoire
Dans le Code du numérique, il y a une incise, à l'article 384, se rapportant aux « startups du numérique », mais qui en limite la portée uniquement à celles « ayant le statut d'entreprenant ». Il est vrai que l'article 68 de l'ordonnance-loi n° 22/030 du 8 septembre 2022 (relative à la promotion des startups) envisage l'entrepreneur individuel sous le statut d'un entreprenant, ce dernier étant lui-même soumis au droit OHADA, précisément à l'Acte uniforme sur le droit commercial général. Il est tout aussi vrai que l'article 69 de la même ordonnance-loi n°22/030 envisage également la possibilité qu'une « activité entrepreneuriale et les startups peuvent aussi s'exercer dans le cadre d'une société pluripersonnelle ».
L'Article 384, ordonnance-loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant Code du numérique est ainsi libellé : « Les startups du numérique, ayant le statut d'entreprenant, sont éligibles, aux avantages fiscaux, parafiscaux, douanier et de change prévu par la législation relative à l'entrepreneuriat et aux startups ».
Un bien fait et une malfaçon
Les exceptions d'ordre public doivent être expresses, d'autant qu'il ne peut y avoir d'exemption et d'allègement fiscal qu'aux termes de la loi, conformément à l'article 174 de la Constitution. Les avantages plus larges que confère l'Ordonnance-loi n°22/030 le sont en faveur de toute labélisation des startups indifférenciées. Ces avantages ne devraient pas subir des restrictions seulement en ce qui concerne les « startups du numérique ». Et pourtant, au titre de disposition impérative, l'article 384 de l'ordonnance-loi n°23/010 oblige, pour y accéder, de n'avoir qu'un statut individuel d'entreprenant. Il se pose dès lors une question de l'utilité d'un texte de loi advenue pour créer un régime encore plus spécifique aux startups du numérique. En son propre sens, l'ordonnance-loi n°23/010 (article 385) dispose que les sociétés commerciales startups du numérique ne bénéficient pas de la possibilité d'être « éligibles aux avantages fiscaux, parafiscaux, douanier et de change » prescrits à son article 384. Elle semble en même temps soustraire les « startups du numérique » du régime moins contraignant de l'ordonnance-loi n°22/030 du 8 septembre 2022 relative à la promotion de l'entrepreneuriat et des startups. Et ce, même si le Code du numérique renvoie au « prescrit de la législation relative à l'entrepreneuriat et aux startups » (article 384, al. 1, in fine).
Une excroissance
En réalité, l'article 2 de l'ordonnance n°22/030 relative à […] l'entrepreunariat et [aux] startups précise bien qu'« [e]lle s'applique à toute entreprise individuelle ou sociétaire, quels que soient sa forme juridique et son secteur d'activités ». À la lecture, cependant, l'ordonnance-loi n°23/010 réserve ses avantages fiscaux, parafiscaux et autres aux seules startups du numérique ayant le statut d'entreprenant. Elle crée donc un objet particulier.
Ainsi, il y a manifestement contradiction entre deux ordonnances-lois : la 22/030 (2022) et la 23/010 (2023). Ce qui soulève un problème de droit constitutionnel. En effet, l'article 129 de la Constitution dispose qu'une ordonnance-loi, en l'occurrence la précédente ordonnance-loi n° 22/30 du 8 septembre 2022, ne peut être modifiée que par une loi (parlementaire). Ce que n'est pas au sens formel l'ordonnance-loi n°23/010 du 13 mars 2023, la subséquente.
L'ordonnance-loi n°23/010 portant Code du numérique n'a hélas pas pris le soin de mieux viser le terme « entreprenant ». Pour elle, ce terme semble notoirement connu et toute startup du numérique entrerait sous son statut. Elle voit nécessairement, derrière une startup du numérique, une personne physique qui l'exploite comme entreprenant du droit des affaires. En revanche, l'ordonnance-loi n 22/030 a pris le soin non seulement de définir l'entreprenant, mais aussi de lui réserver, dans le champ de l'entrepreunariat et des startups, un régime juridique propice.
Un divers de divergence
Il est surprenant de voir que nulle part ailleurs l'ordonnance-loi n°23/010 du 23 mars 2023 portant Code du numérique n'aborde la question des startups tout simplement ou celles des startups du numérique que dans son livre V : Des dispositions diverses, transitoires, abrogatoires et finales. Le mot « startup » ou « startup du numérique » ne figure nullement dans la litanie des 83 définitions de l'article 2 dudit Code du numérique. Ce dernier n'a jamais eu la vocation ni le soin de définir le statut des « startups dits du numérique ». Au lieu de fixer soigneusement ledit statut des startups du numérique, ledit Code du numérique se hasarde laconiquement à l'évoquer ex abrupto dans le « chapitre I : Du régime fiscal, parafiscal, douanier et de change ». Le Livre V du Code du numérique est justement ou maladroitement titré « Des dispositions diverses ».
Les rédacteurs gouvernementaux de l'ordonnance-loi n°23/010 se seraient permis des diversifications des régimes au-delà des lignes. Soit ceux-ci n'avaient alors pas bien corrélés l'ordonnance-loi n° 22/030 du 8 septembre 2022 relative à la promotion de l'entrepreneuriat et des startups. Soit alors leur écriture a été hâtive sans savoir exactement quel statut accorder aux startups dit du numérique.
Les rédacteurs du point divers des startups du numérique en deviendraient-ils détracteurs par divergence des avantages génériques de toutes startups ? Il y a manifestement juxtaposition des régimes législatifs. Il y a donc erreur d'écriture de l'ordonnance-législative n°23/010 en ce qu'elle limite les avantages fiscaux et autres aux seules startups du numérique ayant le statut d'entreprenant. Sa disposition de l'article 384 restreint la portée des avantages que l'ordonnance-loi n°22/030 reconnait à tout statut constitutif de startup, sachant que lesdits avantages sont prévus à la faveur de toutes les startups. Qu'il s'agisse des startups constituées comme société commerciale (pluripersonnelle) ou de celles pouvant être sous statut d'entreprenant (personne physique).
Des hypothèses filantes de définition
La définition d'un concept législatif est un point d'imputation de son régime. Les critères seraient flous et empiriques pour cerner, en droit, ce que serait réellement une « startup du numérique ». S'il est difficile de savoir à quelle institution juridique s'applique l'article 384 du Code du numérique, la disposition pourrait profiter à l'entreprenant, mais aussi ne rien signifier à la fois. Elle peut s'applique à toute hypothèse d'entreprenant mal défini et à rien à la fois.
Par ailleurs, en ne précisant aucunement l'entendement de « startup du numérique », l'ordonnance-loi n°23/010 ouvre un champ imprécis du possible et, par conséquent, un champ d'imprécision carrément. Qu'est-ce donc qu'une « startup du numérique » ? En parallèle, l'ordonnance-loi n°23/010 portant code du numérique avait pu définir le « numérique » et les « activités et services numériques », sans grande force de précision. Ce qui rajoute à la confusion de savoir si les startups du numérique sont celles prestataires des activités ou services numériques.
Par hypothèse, les startups du numérique seraient-elles toutes celles qui :
- feraient usage du « Numérique », entendu comme « ensemble de procédés et moyens utilisant des outils et services qui permettent de créer, de traiter, de stocker et de diffuser les données » (Article 2, point 55, Ord-loi n°23/010.) ?
- fourniraient un service ou une activité numérique, entendue comme « prestation proposée et/ou fournie au moyen d'un système informatique ou d'un réseau de communication électronique en vue notamment de créer, de traiter, de stocker ou de diffuser les données » (Article 2, point 72, Ord-loi n°23/010.) ?
- emploieraient un « dispositif informatique », entendu comme « dispositif composé de procédures, de matériels et de logiciels permettant l'échange, le stockage ou le traitement automatisé de données » (Article 2, point 78, Ord-loi n°23/010.)?
- seraient en contact avec un « utilisateur ou usager » du numérique, entendu comme « consommateur des services numériques » (Article 2, point 83, Ord-loi n°23/010.) ?
Un apaisement d'esprit
Qu'à cela ne tienne, l'interprétation systémique permet de limiter le champ d'imprécision, d'autant que l'article 384 (sous commentaire) de l'ordonnance-loi n°23/010 portant code du numérique est précédé (chose normale et anormale) d'un article 383. Ce dernier aborde en extension toutes « personnes morales et physiques exerçant les activités et services numériques évoluant dans le secteur du numériques à partir ou à destination de la République Démocratique du Congo, […] soumis aux règles du droit commun en matière fiscale, parafiscale, douanière e de change en vigueur ». Et ce, tandis que l'article 384 abordait une compréhension plus restreinte des « startups du numérique ». Les rédacteurs gouvernementaux passent subitement d'un prisme restreint à un horizon ouvert. Il ne peut, en conséquence, pas s'agir de toutes les hypothèses des définitions tentées plus haut à affubler à une difficile définition des « startups du numérique ». Certaines startups du numérique peuvent être fournisseurs ou prestataire des services numériques, tandis que d'autres pourraient ne pas l'être.
En somme, les startups du numérique n'ont aucun label, ni visage, apparaissant à l'aune du Code du numérique. Elles sont une vue de l'esprit sans prisme précis du regard. Toujours est-il que sa définition reste floue d'autant qu'aucune entité n'a à ce jour bénéficié des titres et avantages inhérents aux startups du numérique.
Une logique diffuse
Il devient difficile de suivre la logique des rédacteurs gouvernementaux de l'ordonnance-loi n°23/010 dans la mesure où ils destinent les conditions des avantages fiscaux et autres (une fois encore) aux « startups, entreprenants, ainsi qu'aux petites et moyennes entreprises évoluant dans les secteurs du numérique » (article 384, alinéa 2). En outre, l'idée des « startups entreprenants du numérique » se mêle à celle des PME (insolitement) dans le Code du numérique. Comment le Code du numérique peut-il accorder ses avantages à n'importe laquelle des PME du simple fait que ces PME évolueraient dans le secteur du numérique ? L'idée des « startups entreprenants » refait surface encore. Apaisons la critique. Pour les PME, ce n'est qu'une redondance du Code du numérique d'avec le texte sectoriel des PME, d'autant que chaque fois qu'il a été question des avantages fiscaux, facilités, financements ou autres à accorder aux startups, l'ordonnance-loi n°22/30 relative à leur promotion a toujours associé les startups aux PME (articles 44, 47, 48, 50). Et ce, dans les conditions d'accès aux avantages fiscaux, parafiscaux et autres.
Au vu de ce qui précède, les startups du numérique présente un statut mal défini. Leurs régimes s'avèrent superposés entre entreprenant, fournisseurs ou prestataire des services numériques, PME et entrepreneuriat. Ce flottement de statut ne peut qu'entraver les startups du numérique, plutôt que de les avantager.
Extrait d'ouvrage
Paris, le 25/08/2025
Dr. Kodjo Ndukuma
Doyen Honoraire de la Faculté de Droit (UPC);
Professeur Full (UPC, UCC, UPN, CHESD, Ecole de guerre, ENA)